Flânerie, de corniche à tilleul.

Messages : 1 Date d'inscription : 13/08/2009

D'abord, ce fut les corniches. Peu nombreuses, qui dévalaient les pentes des maisons telles des gamines essoufflées et se jetaient au bord de la chaussée. Après les corniches aux genoux croutés, ce fut les pigeons qui s'occupaient de les blanchir, caracoulant dans l'azur pluvieux, avec leur mine tristement idiote et leurs gesticulation de poules - reste qu'ils avaient noble pennage les piafs de Marseille, du gris doux tacheté d'un beau bleu sombre, miroitant dans le turquin, s'évadant dans des teintes violacées, un peu comme des hématomes sur la gorge. Y avait une mouette, la rieuse, perdue entre ces mâles faussement esquintés. Puis, chute libre, ce fut les pavés, et les petites herbes qui poussaient entre. Longue avenue chauve qui exhibait, de toutes ses forces, les maigrelettes pousses vertes qui battaient en résistance sur son caillou ou vieille mal dentée, qui commençait à verdir des gencives.

Le temps de compter les quenottes de la venelle, la pluie s'en était allée, traînant derrière elle ce vieux boulet de soleil. Ensuite ce fut un coin de toit, un bout de feuille blet, ou était-ce un papier, un poulet d'église abandonné là par la fille du boucher, avant que son père étique (paire et tiques) ne s'en empare ? Ou la liste brouillonnée d'une lavandière que les ans auraient piétinée ? Mais les ans n'ont pas de pattes, et le boucher était gras. Logique. Ce fut également une corde défaite, un nuage en forme de noisette, les mains mangées par le sel d'un passant plus gris que le mur, un éclat de voix, plus dur à voir cette fois-ci, mais le brun dardait ses ardents sur tout ce qui lui passait sous le nez et les oreilles, amusé ou colérique, il ne sut pas le distinguer.

Enfin, ce fut un banc de pierre, sur lequel il posa ses merveilleuses fesses. Les balades du trimardeur étaient les plus banales, les plus plates, aussi il aurait tout aussi bien pû se trouver dans une plaine hollandaise un jour de rien que dans une venelle glauque d'un Marseille en sieste, elles fussent restées inertes comme une mouche trépanée, mais elles avaient un avantage, ces baguenaudes d'après-midi, c'est que le promeneur, il regardait tout. Même que ça lui causait des migraines. Alors il cala son dos contre le tronc du tilleul qui avait eu la bonne idée de pousser là, contre le banc, amena sa toque sur son nez, et s'endormit comme un ange. Ou presque.

Messages : 57 Date d'inscription : 28/07/2009

Marseille. Elle y avait installé son perchoir, décidant qu’ici serait le lieu où elle reviendrait parfois, où elle resterait plus longtemps quand ses pieds auraient besoin de repos. La ville lui avait paru accueillante, les habitants ne la regardaient pas (trop) de travers. Elle, la croqueuse de vie. Certes, comme partout, des bien-pensants n’acceptaient pas sa façon de vivre… Mais elle n’en avait cure. Elle vivait au gré de ses envies, sur le moment, esprit libre.
Amies, amis, amants, mi-ami-amants aussi, les jours passaient, semblables et différents. Semaines ponctuées de leçons, il lui fallait apprendre lecture et écriture. Soirées accompagnées, souvent, elle ne croquait pas que la vie mais aussi tout ce qu’elle lui offrait.

Ça ne plaisait pas toujours, ce qui la faisait rire un peu plus. Fanfaronne et sûre d’elle, elle racontait à qui voulait l’entendre que son amour était vagabond et ne s’accordait jamais aux sonorités d’un cœur. Elle avait toujours su se préserver des au revoir et des adieux douloureux. C’était tellement plus simple de n’aimer que superficiellement, d’apprécier fortement et de ne garder que de vagues souvenirs. Revenir, parfois, mais pas obligatoirement. Les amours d’un soir, d’une nuit… Ou les amitiés fortes, où, parfois, la nuit observait des choses peu aristotéliciennes.

Elle s’était habituée à ce port d’attache. Ses pieds commençaient à la démanger de nouveau, mais un ami devait lui rendre visite, elle attendrait sa venue avant de prendre la route tandis qu’il irait faire retraite. Du monde à aller chercher en Arles, cousine de son professeur, elle s’était proposée pour l’aller rejoindre et ramener sur la Belle, l’Eternelle.

Dernièrement, elle avait dormi dans les bras d’un ange, ou presque. Elle s’y était plu. Un peu, beaucoup, trop. Beaucoup trop en vérité. Elle ne l’avait pas rencontré endormi sous le tilleul ni sous un olivier. Non, simple rencontre en taverne. Et, Delta, en insatiable dévoreuse, s’était intéressée. Ils avaient discuté, longtemps, de pochtrons et d’amour, de miel aussi. De sous entendus en allusions, de manigances en verres d’eau de vie, la brune avait décidé l’ange à rester une nuit, déjà. Elle avait même tenté la flagornerie pour le décider… mais cet écart dans ses manigances ne fut guère concluant. Elle n’était pas douée pour flatter hypocritement.
L’homme, donc, était resté, il se devait de l’aider à finir la bouteille entamée. Ils menèrent ensemble, par jeu, une étude scientifique des plus poussées, celle des tourteaux en eaux fraiches et la continuèrent encore, au sec cette fois, la même nuit.

Le lendemain, sous les oliviers, ils parlèrent de son départ, elle de l’ami qui arriverait sous peu. Il parla de partir immédiatement et elle se surprit à le vouloir retenir… d’un brin de mauvaise foi, mit cela sur son goût des bonnes choses et sa curiosité scientifique. Et il resta. Le soir le vit, perdu dans le noir, environné d’une odeur de sauge, devant sa porte. Rougeoiement d’un brûle gueule dans la nuit, porte qui s’ouvrit et deux ombres qui pénétrèrent en un logis. Au 46, le sien. L’étude fut menée de main de maitre, laissant là, las, deux amants éreintés. L’éveil des sens, un partage total, bestial bien plus que tendre. Elle apprit à n’être que jouet entre des mains attentives, elle qui, souvent, menait le jeu, subissait, volontaire. Malheureusement, ils n’étaient pas en état de prendre des notes pour leurs études et l’avant sommeil se solda par des promesses de révision du sujet.

Réveil tendre ensuite, qui contrasta avec l’hier. L’homme avait faim, elle se fit déguster, aidant par là même les coqs à réveiller le quartier. Il était l’heure de toute façon.
Soleil haut et estomacs pleins, ils s’en allèrent visiter le champ de la jeune femme, ça devait être la deuxième fois qu’elle s’y rendait. Pas qu’elle n’en avait rien à faire de son champ… mais… elle n’en avait rien à faire de son champ. Il allait avec le pied à terre, elle l’avait pris, un lot en somme (enfin, en Provence).
Encore une fois, le départ fut le sujet de leur discussion, il partirait dans la nuit du lendemain, pour ne pas s’immiscer, pour ne pas déranger, pour ne pas qu’elle se lasse. Nulle envie de le savoir parti, mais la brune décida de simplement profiter du temps qui leur restait pour soulager leur insatiable soif de connaissances. Surtout qu’avec la mémoire à trous dont ils faisaient montre tous deux, il fallait souvent recommencer les expériences. Ils parlèrent mémoire d’ailleurs, et de ce qu’elle leur laissait en souvenirs, sachant déjà qu’un détail comme ce moment où ils étaient deux, leur cerveau le garderait.

Journée tranquille, avec parfois, souvent, un léger goût amer dans la bouche de la demoiselle. L’heure du départ approchait et la croqueuse de vie commençait à se rendre compte, que… peut être… ce n’était pas que physique. Sans aucun doute même. Du moins commençait elle à ouvrir les yeux sur son ressenti propre, progrès, énorme. Ils mirent le temps restant à profit encore, elle prit soin de ses vieux os, massant celui qui se disait vieux.
Sursaut dans le lit. Grand matin, aube passée depuis belle lurette. Il aurait dû partir. Il était encore là. Tendre moment. Joie intense de la brunette, un jour de gagné. Un peu gênée toutefois vis-à-vis de l’ami qui était sans doute déjà arrivé. Gêne qui fuit bien vite son esprit tandis qu’ils discutaient, usant de mots… et de leurs corps. Encore. A croire qu’ils n’arrêtaient pas.

Ils se croisèrent en taverne, le soir venu. Elle s’en était allée promener durant un moment, la mi-journée entière en fait, cherchant çà et là réponses qu’elle n’avait qu’au fond d’elle-même. Elle avait joué avec le feu, s’était brûlée. Marquée de l’intérieur. Elle n’avait pas su se préserver vraiment, elle qui défendait bec et ongles le fait qu’elle ne s’accrochait jamais. Amoureuse vagabonde. Amoureuse fugace, d’un voyageur.
Et son ami entra. Grand moment de solitude. Mais l’ami ne l’est pas pour rien, ami, il dérangeait, le savait, le sentait, et s’éclipsa, les laissant parler avant… Une idée lui vint, pour le garder encore, un instant ce soir là et indéfiniment ensuite ; elle lui proposa de le croquer. Au fusain.

A la lueur de bougies, dans sa chambre aux murs lézardés, posait un homme, une femme lui lançant de furtifs regards, simplement pour rafraichir sa vue, les mains actives sur un feuillet devant elle. D’autres feuillets épars autour, lui qui se trouve représenté, toujours. Fidèle à sa promesse, après l’avoir croqué… elle s’approcha pour le croquer… Mais l’homme était amer. Il se torturait l’esprit à propos de l’autre qui était en ses draps. S’ensuivirent des mots aussi durs que tendres, des mots qu’elle n’aurait jamais imaginé prononcer, des mots qu’elle n’aurait jamais cru qu’il lui dirait. Au fil des mots fut émise l’idée qu’elle le marque. Un point. Au poignet. Ce qu’elle fit.
Ceci accompli, il retrouva sa fougue et son envie, oublié l’autre couche, oublié l’homme qui y était, seuls comptaient désormais, eux deux. Elle lui demanda alors de la marquer de la même manière, et pour couper court aux questions, entreprit de le croquer… sans fusain ni mine de quelque sorte que ce soit. S’ensuivit une étreinte des plus tendres, la nuit s’avançait. Mirettes bleutées qui se fermaient sous le plaisir décuplé. Amère étreinte au goût d’Adieu… d’Au Revoir s’étaient-ils dit.

Il la marqua ensuite, comme elle le lui avait demandé. Des regards, une main serrée, un dernier tendre baiser, le nom de l’homme griffonné sur une esquisse pour qu’elle le puisse reconnaitre, un souffle et un baiser dans son cou. Un au revoir en somme. La porte se referma sur l’homme, laissant dans la chambre "coquette ", une femme, nue, aux joues salées et aux épaules tremblantes dont le regard se perdait dans une rue sombre, espérant l’y voir passer. Le matin la trouva sur le lit, recroquevillée, les yeux perdus dans une lézarde. Ce soir là, Morphée s’était refusé à elle.

Il lui écrirait, elle aurait des nouvelles… quand elle saurait lire. Son professeur l’allait voir bientôt débouler, plus motivée que jamais. Elle ouvrit une taverne, travaux enfin finis, l’aménager lui occupait l’esprit. Si elle n’avait rien à faire, elle relavait sa vaisselle propre. Pathétique ? Elle l’avait dit…

Quelques rires et sourires échangés, une danse sans musique aux pieds écrasés, des histoires d’oreilles et des bras tendrement amicaux. Elle allait. Ni bien, ni vraiment mal. Elle allait, simplement. Ce n’était qu’un au revoir.

Elle avait dormi dans les bras d’un ange, ou presque, et s’était brûlé les ailes. Il parait que ces choses là repoussent, mais jamais tout à fait pareilles, sur une des siennes désormais, il y aurait une pointe d’encre, indélébile.
Elle avait toujours su préserver son cœur…

Foutaises !

Messages : 1 Date d'inscription : 13/08/2009

Trois jours déjà, le temps était vite passé, l’heure de rejoindre les nonnes ou les moines, ce serait la surprise, arrivait.
De toute façon, leur cave serait pillée, et leurs livres engloutis par la voracité du lecteur dont la soif de connaissance égalait ou dépassait sa soif des plaisirs de la vie.
La majeure partie de ses journées, Ira les passait en mer, à la pêche, activité qui l’emmenait au large, le vent gonflant la toile de la latine installée sur sa barque et le décoiffant, si ce terme pouvait s’appliquer à sa chevelure rarement ou jamais coiffée. Au large le garçon se sentait libre, à terre perdu en territoire ennemi. Une fois à terre, il y avait peu de branches aux quelles se rattraper, une jeune femme mi-amie mi-maîtresse, une jument maligne. Peut-être que le temps passant, il se sentirait moins étranger et trouverait sa place. Marseille n’était qu’une étape, longue étape il est vrai, mais seulement cela dans le périple qui le mènerait d’abord vers le Nord ...

Le jeune homme ne se plaignait pas, il n’avait pas reçu un mauvais accueil à Marseille, loin de là. Ses premières craintes, suite au retard pour obtenir son laissez -passer, dissipées, tout s’était plutôt bien passé. Les gens rencontrés étaient plutôt agréables et faciles à vivre, même s’il trouva une ou deux donzelles un peu trop curieuse à son goût. Certains s’étonnaient du fait que le garçon tutoyait tout le monde, son long séjour en Italie avait contribué à modifier définitivement sa vision sur les choses et les gens. Le savoir qui se trouvait là-bas, ouvrait les yeux de celui qui prenait la peine de regarder. Cette vision déjà bouleversée auparavant par sa rencontre avec les Espagnols, tout était surprenant chez eux, leurs armes, leur façon de monter, leurs mets. Ah les fameuses pistaches, quelle découverte, le garçon devrait rationner les dernières qui lui restaient…

Le jour de son arrivée, Ira ne fut qu’à moitié surpris de trouver son amie, dans les bras ou plutôt sur les genoux d’un autre, certainement le nobliau dont elle parlait si souvent. Plus amusé que contrarié, les deux jeunes gens savaient à quoi s’en tenir sur leur relation, il les laissa, ne voulant pas déranger. La jeune femme, un peu confuse, lui remit les clés de sa maison, sa première nuit marseillaise, Ira la passerait seul mais pas à la rue. Quand il revit son amie, le jeune homme regretta de ne pas l’avoir plus dédouanée le soir précédent, elle semblait prise dans une étrange mélancolie qui la poussait à boire, il faut bien avouer qu’elle n’avait pas besoin d’être poussée à boire, le garçon non plus d’ailleurs. Elle lui dit s’être brulée les ailes, il se demanda de quel astre incandescent, elle avait, tel Icare, bien pu s’approcher. Surement le nobliau, car Ira, lui ne brillait pas, ni en plein jour, ni même la nuit, le garçon n’était même pas une étoile filante, il filait tout simplement. Pas qu’il fut dénué de toute qualité, ni que le feu ne couve derrière la pâleur bleue de ses yeux, mais c’était ainsi et pas autrement.

Le jeune homme était heureux de pas être pas la cause du mal être de la donzelle, mais il s’en voulait quand même de ne pas trouver les mots qui la sortiraient de cet état. Quelque chose le tracassait davantage, il ne parvenait pas à s’habituer à la paix. Ira sentait que la fureur et le chaos des batailles, lui manquaient. Et la peur, il ne pouvait plus se résoudre à vivre sans, la moiteur qu’elle distillait lui était devenu nécessaire comme un élément vital. Il comprenait de façon confuse, qu’il passerait le restant de ses jours à la recherche de ces sensations aux parfums si étranges. Il repoussa les cheveux obscurcissant son visage d’un geste machinal de la main, comme pour chasser par la même occasion ses interrogations, l’heure n’était pas aux doutes, c’était l’heure de profiter de sa dernière nuit à l’air libre avant longtemps.